Daniel Herrero, ancien entraîneur du RC Toulon, donne son avis sur l'équipe de France (interview transmise par le Comité Aquitaine Poitou Charentes)

Je lui reproche sa normalisation...

“Les joueurs jouent selon des choses apprises, répétées. Ça génère la prudence et mène à l'ennui. C'est le sommet du désarroi et de la désaffection : C'est quoi cette pauvreté ? En Irlande, c'était piteux. À la 30e minute, je me suis dit : je peux éteindre le poste et commenter jusqu'à la 80e.”

La normalisation est un mal récurrent depuis l'ère Fouroux

“ C'est l'archétype d'une équipe prévisible, mentalisée pour respecter l'ordre. On est dans un processus qui date presque des années Fouroux (1981-1990). Avant, il n'y avait pas d'entraîneur, les joueurs arrivaient en équipe de France avec leur talent brut, sans avoir le temps de travailler ensemble. Ce n'était pas le travail qui faisait le jeu, mais le talent. Avec l'arrivée des entraîneurs spécialisés, on est devenu ordonné dans le travail de l'offensive. Mais l'attaque ne se travaille pas beaucoup, et seulement dans la quête absolue du désordre. Une attaque travaillée génère des pré-attaquants, des gens uniquement formés pour désorganiser une défense structurée, pour être dans le sacrifice, pas dans la joie."

Pourtant les All Blacks travaillent aussi et sont de vrais attaquants

"Le secteur offensif a deux aspects : le jeu dans l'ordre (après touche, mêlée) et le jeu dans le désordre. Dans le désordre, toutes les équipes souhaitent mettre du volume. Excepté la France. Aujourd'hui, les relances, l'ultime secteur où il existe beaucoup d'espace, sont délaissées. Selon moi, le travail a paupérisé notre jeu offensif. Il a amené à l'obsession de la rigueur alors que, culturellement, on avait un goût au désordre un peu supérieur au goût de l'ordre."

Pétulance et irrévérance mènent au French Flair

"Il nous manque l'irrévérence, la pétulance sauf en fin de match quand on court après le score. On se dit qu'il faut se lâcher, on sort des choses qui nous ont enfermés et ça pétille. Pétulance et irrévérence, ça avait un mot : le French flair ou le panache. La France pleure son panache. Cette équipe a peu de victoires, mais aucune n'est belle, aucune ne reste, aucune ne donne de joie."

La rigueur est un cimetière

"L'éducation s'appuie sur la rigueur. La rigueur est un moteur de la performance, mais c'est aussi un cimetière car elle amène à la prudence et à l'ennui. Or l'ennui peut aussi toucher l'intérieur de l'équipe : Un groupe triste, ou terne est un danger. Cela se ressent dans le jeu de l'équipe de France à travers le mimétisme de son leadership, c'est-à-dire Thierry Dusautoir et les trois entraîneurs. C'est à la fois un mimétisme obsessionnel de l'ordre et de l'humilité. Il n'y a aucun panache ! Seule la victoire avec panache compte, est respectable et nourricière."

Le public attend plus d'émotion que de victoires

"En France, on a toujours été beaucoup plus sensible à l'allure générale et à la capacité créatrice. Même ponctuel, on savait que l'on avait cette réserve. Sous l'ère Fouroux, il y avait Sella, Lagisquet et Blanco : un potentiel de talents rares qui nous offraient quelques illuminations. L'équipe nationale est en voie de distanciation avec l'âme populaire sur la valeur morale de son jeu plus que sur son niveau de performance. Le public attend plus d'émotion que de victoires. L'émotion de l'offensive."

Quand un entraîneur ennuie, il est rare que l'équipe chante

"Ce staff prône des possibles : on attaquera bientôt mais on n'attaque jamais. Ou si peu. On retient une percée de Michalak il y a trois ans contre l'Australie et celle de Fofana contre l'Angleterre. Ce n'est pas parce que des coaches disent, que les joueurs font. Un joueur fait quand il le ressent, que ça lui va bien, qu'il aime. Si on lui dit : attaque mais ne tombe pas la balle, c'est mort. Ces entraîneurs ne sont jamais joyeux, ils ne sont pas dans le discours enthousiasmant. Or quand un entraîneur ennuie, il est rare que l'équipe chante. Ce staff est dans la croyance absolue du scientifique et ça crée un mimétisme. Maintenant, ce qu'il faut trouver, ce n'est pas un entraîneur pour les buteurs mais un entraîneur de sortie de crise morale."

Cette équipe, c'est la mine et le labeur

"Cette équipe, c'est la mine et le labeur : On n'a pas envie de lui ressembler. Si j'étais leur entraîneur, je leur dirais : si c'est moi qui vous amène à jouer comme des robots industrialisés, honte à moi et honte à vous de me suivre. J'ajouterais : Chaque fois que l'on récupère le ballon dans une situation de jeu où l'adversaire n'est pas placé, il faut jouer. Et chaque fois que l'un d'entre vous a réussi à avancer même de 50 centimètres, mais avec du rythme et du tonus, de la déflagration, il doit y avoir urgence, hurlement, fusion collective."

Si les joueurs calculent tous les risques, ils n'en prennent plus

"Il y a du talent en France : Parra, Lopez, Michalak, Trinh-Duc, Huget, Médard, Fofana. Mais on aurait mis dans cette équipe de France des gonzes impertinents, ils se normaliseraient dans le système. Regardez la décadence créatrice de Fofana, de Médard : elle est hallucinante ! Parce que si tu demandes à tes joueurs de calculer tous les risques, ils n'en prennent plus. Point final. Il n'y a plus de prise de risques depuis dix-douze ans. Depuis, elle voit le monde la déborder, le rugby évoluer et le sien s'enfermer. À tel point que le potentiel de mouvement est nettement plus élevé chez les Springboks et les Anglais que chez les Français."

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